Grandir, ou les 3 questions existentielles


L’enfant grandit, mais ne se voit pas grandir. Il pense que son vêtement a rétréci.

De même, l’âme qui grandit se sent un beau jour à l’étroit dans son costume trois pièces : son environnement de vie, ses relations et ses rôles. Peu importe quelle part de ce costume commence à la gêner aux entournures. Elle va finir par s’y sentir engoncée tel un épouvantail débordant de son veston troué, sans trop comprendre ce qui lui arrive.

Quant à la personne – le personnage-, elle va tenter en vain de rapiécer le vêtement, ne pouvant ni surtout ne voulant voir qu’il a fait son temps. Certains s’obstineront à le porter jusqu’à ne plus pouvoir bouger, condamnant ainsi l’âme à la paralysie ou l’étouffement.

Certaines âmes se résignent, et c’est la vie qui fuit.
D’autres se débattent, faisant craquer de toutes parts ce qui est devenu une camisole de force.
D’autres enfin se révoltent si bien qu’en un éclair rageur, les trois pièces du costume se retrouvent en lambeaux sur le sol.

C’est la crise existentielle, le naufrage ou le long tunnel. La forme importe peu. La vie que l’on contraint commence toujours par nous envoyer des messages. Si nous persistons à ne rien voir, elle finira par briser tous les barrages. Et la personne qui n’a d’autre radeau que le mental, se trouvera bien dépourvue, clamant qu’elle est maudite, ne voyant pas qu’elle est bénie, que tout conspire pour la guérison de sa cécité.

Car l’âme et la vie sont plus qu’amies, plus même que mère et fille : elles sont unies. Si l’une d’elles est touchée, l’autre crie.

La personne est comme qui dirait la cinquième roue de la charrette, la pièce rapportée, le personnage qui se prend pour l’auteur. Plus elle croit à son autonomie, plus elle s’agite pour garder l’illusion du contrôle. Non contente d’être aveugle, elle se met alors à devenir sourde à sa propre imposture, tout en prétendant chercher la vérité. Étrange théâtre que celui-là…

En attendant, l’âme continue de grandir, nous obligeant à quitter nos vieux vêtements, à revoir cycliquement les trois questions existentielles : où vivre, avec qui vivre, quelle activité de vie choisir ?

Tout cela pour dire que j’ai fini par céder mon costume de treize ans tout rapiécé, avec l’écusson « Bruxelles Formation ». Pour l’instant, mon cœur gambade à travers champs, éperdu de l’ivresse du grand air, reconnaissant de sa liberté de mouvement. Il n’a pas l’intention de se laisser rhabiller de sitôt, sauf s’il s’agit d’un sincère juste-au-corps…

J’habite toujours à la même adresse, Dieu sait pour combien de temps. Mon cœur me parle chaque nuit de chants d’oiseaux, de fleurs sauvages et de coquins ruisseaux…

Aïe, je te sens suspendu à mes mots ! Va-t-elle quitter…? Eh bien non, avec Denis je vis, avec Denis je reste. Car auprès de lui, je me sens vivante et mon cœur chante.

Tout livre qui se referme, ouvre sur le grand mystère de la vie, la suprêmement blanche page de l’infini, où personne n’a jamais rien écrit. Permettez-moi donc de déposer mon stylo. Si l’Auteur désire le reprendre, qu’il s’avance : il est à Lui.

 

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