Ne pas savoir Sagesse et coronavirus

Ne pas savoir : chaos ou sagesse déconfinée?


Bonjour !

Voilà, le premier mot s’est écrit. Simple, évident, il a sauté de mon clavier sur l’écran. Les autres l’ont suivi, tels des enfants dans la cour de récré se précipitant à la suite de celui qui initie le premier mouvement d’un jeu rigolo.
Jeu de cache-cacheMais où est le rigolo dans ce jeu de post-confinement dont les règles sont fixées hors de notre portée par des gens dont on se demande parfois quelle est la véritable intention derrière celle, largement annoncée, de nous protéger? Et quel est ce jeu, au fait? Une partie de cache-cache avec les représentants de l’ordre (quel ordre?) prêts à nous verbaliser dès qu’un soupçon de libre-pensée pointe le bout de son nez? Un jeu de piste pour récolter les indices d’informations manquantes…

Un exemple :

  • 8 juin – « Les sports de contact seront très probablement ré-autorisés dès le 1er juillet »
  • 1er juillet – Silence radio… Plus un mot sur les sports de contact cet été.

Ou encore un jeu de saute-mouton pour sauter par-dessus nos incohérences (j’ai lu des études scientifiques prouvant que les masques ne protègent pas de la contamination en cas de maladies respiratoires, et pourtant je mets mon masque quand je vais voir ma pôv’ taty diabétique, ou vice versa : je clame haut et fort que les masques devraient être obligatoires mais je n’en porte pas)?

Franchement, il y a de quoi y perdre ses repères et son humour, vous ne trouvez pas?

Le jeu du « je ne sais pas »

Et si nous essayions un nouveau jeu? Le jeu du « je ne sais pas ».

Parce que si nous en sommes là, n’est-ce pas un peu parce que, dans cette situation inédite de l’histoire humaine, ceux qui auraient dû savoir mais qui ne savaient pas ont fait semblant de savoir, et sur un ton péremptoire ont affirmé des demi-vérités ou des contre-vérités qu’ensuite ils n’ont pas eu le courage de démentir? Et c’est ainsi qu’une société entière s’enfonce dans l’obscurantisme, ne sachant pas grand chose tout en prétendant savoir ou faire confiance à « ceux qui savent » : experts contaminés par l’invisible virus du conflit d’intérêt, dirigeants trop occupés ou (trop contaminés aussi) pour chercher l’information fiable sous les tonnes de pseudo-infos disséminées par les médias « mainstream » eux aussi inféodés aux intérêts dominants et accros au dogme de la pensée unique.

 

La morale facile et cruelle

Ambivalence contradiction inconfort

Moralisation Crise CoronavirusLe souci, c’est que dès que je prétends savoir ce qui est OK et donc bien, et que je me comporte de façon à être un bon élève, quasi instantanément j’accuse de tous les maux et j’ostracise ceux qui pensent et agissent de façon contraire à mes convictions. Nous assistons donc depuis le début de la crise du Covid 19 à une débauche  de propos moralisateurs déversés par celles et ceux qui s’enorgueillissent de laver plus blanc que blanc, à grands coups de regards réprobateurs et de « Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins pour les autres ».

J’ai vu des êtres aimants, d’une grande perspicacité, s’informer des jours durant et prendre leur responsabilité en connaissance de cause, pour se voir ensuite accusés d’être des criminels mettant les autres en danger de mort. La manipulation a atteint des sommets de cruauté.

« Je ne sais pas » génère insécurité et impuissance


Certes, il est plus simple et surtout plus confortable de prétendre savoir ou de suivre ceux qui prétendent savoir que d’avouer son ignorance, surtout quand l’heure est grave et que nos parts apeurées réclament à cor et à cri des certitudes. Car l’ignorance est ici voisine d’impuissance et l’impuissance est l’une des émotions les plus inconfortables. Elle nous plonge dans un chaos intérieur difficile à décrire et à soutenir (le terme de « restabilité, employé par Isabelle Padovani, décrit bien cette capacité à « demeurer avec » une émotion en évitant la tentation de la refouler ou la défouler pour y échapper).

Fuir l’impuissance

J’ai donc vu, en moi et à l’entour, les 1001 stratégies déployées pour fuir le sentiment d’impuissance, et se munir de pseudo-certitudes afin de garder la tête hors de ces vagues d’insécurité et d’impuissance. Par moment, je me suis même vue basculer dans le « tout-au-complot ».

ImpuissanceCar, comme l’écrit l’anthropologue Jean-Dominique Michel : « La croyance en un complot simplifie la vie en donnant un axe qui la traverse en évacuant au passage l’incertitude, l’ambivalence, le paradoxe ainsi que le ressenti d’anxiété lié à un sentiment impuissance. »

J’admire cet homme car il fait partie des trop rares humains qui ont traversé cette crise en restant debout dans l’axe de leur intelligence, de leur cœur et de leurs tripes, en continuant à chercher et à (se) remettre en questions. Je vous recommande au passage la lecture de son excellent article sur le complotisme, et de tous les autres de son blog, si vous en avez le goût.

Ambivalence par rapport à l’autorité

Ambivalence chez l'enfant gentil méchant

Il m’est apparu, en examinant mes propres réactions aux incohérences de nos gouvernants lors de la gestion de la crise, à quel point il pouvait être difficile, voire douloureux, d’affronter l’ambivalence.

Ambivalence des dirigeants et experts, confrontés à des intérêts divergents, à de l’ignorance, et à la pression de devoir agir vite et bien, souvent sans connaissance de cause.

Ambivalence de mes propres sentiments à l’égards de ceux qui sont censés nous protéger et vouloir notre bien mais semblent parfois prendre des décisions qui nous déplaisent ou nous mettent en péril.

L’ambivalence (présence simultanée de deux sentiments opposés par rapport à un même objet) est inconfortable. Elle remonte aux premiers mois de la relation mère -enfant et a fait l’objet de maintes études en psychologie, avec notamment Bleuler (1911), Mélanie Klein (1932-1989) et John Bowlby (1958). [C’était le passage intello 😉 ]

Pour faire court : le fait que ceux que nous aimons et que nous croyons fiables, puissent mentir ou nous traiter injustement provoque en nous une ambivalence affective ou émotionnelle qui génère un fort mal-être. Pour y échapper, un mécanisme fréquent est le clivage : incapable de soutenir l’angoisse générée par le fait que sa mère puisse être à la fois « bonne » et « mauvaise », le bébé va la cliver en deux entités opposées que sont le « bon sein » et le « mauvais sein ».

Clivage chats

Eh bien j’ai vu ce clivage du loup noir et du loup blanc (ou du chat 🙂 ) actif un peu partout, renforcé par des projections négatives sur des boucs émissaires tels que le Professeur Raoult pour les uns, ou les lanceurs d’alertes pour les autres, les accusations de complotisme volant des deux côtés.

Et la Biodanza dans tout ça?

Logo BiodanzaPourquoi remuer toute cette boue sur un blog dédié à la Biodanza, me direz-vous?

Parce que l’angoisse, l’ambivalence et l’impuissance font partie des expériences humaines, et qu’elles sont donc des « vivencias » au sens premier du terme, c-à-d des expériences vécues avec intensité à un instant T, impliquant nos sensations et nos émotions.

Elles appellent donc à être vécues, dansées, plutôt que jugées ou rejetées.

Et ce qui peut nous aider à traverser le chaos émotionnel qu’elles entraînent, ce sont 3 ressources dont nous étions et sommes encore largement coupés en cette phrase 4 de déconfinement où je vous écris, à savoir :

  1. l’expression intégrée accueillie sans jugement
  2. le contenant affectif et physique
  3. la transmutation.

Exprimer et accueillir l’expression sans jugement

Les trois premières semaines de la crise du Coronavirus, j’étais dans un état de sidération, une sorte de figement de mes capacités de réflexion et d’action.

Ce que la Biodanza m’aurait permis, avant tout, c’était de remettre du mouvement dans cet immobilisme, doucement, progressivement. D’abord au niveau moteur, puis petit à petit, en m’invitant à ouvrir mon centre affectif pour laisser circuler les émotions retenues et sortir de la paralysie en laissant mon mouvement exprimer ce que mes mots ne pouvaient dire car ma tête ne pouvait penser l’impensable.

Une expression intégrée permet à mes sentiments, mes peurs comme mes désirs, à mes idées comme à mon cœur, de danser ensemble sans s’exclure (le fameux clivage) mais en s’épousant harmonieusement. Cette expression est prophylactique et guérissante, car elle renforce l’identité (dont le système immunitaire est l’expression biologique) et permet de remettre en mouvement les énergies bloquées dans le corps.

Certes, j’aurais pu danser seule dans mon living, et je l’ai fait, mais il manque alors le second ingrédient indispensable à cette résilience, qui est

Le contenant affectif et physique

Etre reçue dans ma danse, vue et accueillie dans l’expression de mon indicible, puis être contenue dans la chaleur de deux bras aimants à l’issue de ce moment d’expression totale, voilà ce qui nous est possible de nous offrir les uns les autres, à nous humains, mammifères au sang chaud, nés pour être en lien.

Contenant affectif Biodanza

Valu Ribeiro

Or, la gestion de la crise avait pris l’option d’interdire tout contenant  physique (toucher, caresses, étreintes), préconisant les contacts virtuels. Le contenant affectif est certes possible à distance, mais nettement plus difficile à offrir et moins nourrissant pour celui ou celle qui le reçoit.

La mal nommée distanciation sociale, qui est en fait une distanciation physique, nous prive d’une des plus grandes sources d’équilibre psychique et affectif, à savoir le contact.

« Le contact est une source de santé et constitue la plus importante de toutes les actions thérapeutiques », affirme Rolando Toro. Je vous invite à lire l’article sur le besoin vital de contact sur ce même blog. 

La transmutation

Expression des émotions par la danseL’émotion est intrinsèque à notre condition humaine comme le chaos est intrinsèque à la vie.

Pour Rolando Toro, notre chemin d’humanité passe par notre capacité à trouver l’ordre et l’harmonie en toute situation. Et pour cela, il est nécessaire d’oser l’intimité avec le chaos. Plonger dans notre angoisse, notre impuissance, notre ambivalence, en d’autres mots plonger dans nos ombres, demande du courage.

Ce courage, c’est dans l’amour que nous allons le puiser, car seul l’amour nous permet de transmuter les situations les plus sombres.

L’expression dessine un chemin qui va du chaos vers l’ordre. « L’émotion non exprimée peut me retenir dans le chaos, tandis que son expression recèle la semence d’un nouvel ordre », souligne Hélène Levy-Benseft.

La proposition de la Biodanza n’est pas de sortir nos émotions de façon cathartique, c’est de les transmuter en danses, en créations uniques, pour en ressortir grandis.

Chaos, grandeur et humilité

Chaos Ne pas savoir humilitéLe chaos est partout : à l’origine de l’univers (tant dans la mythologie que dans l’astronomie), dans notre crise actuelle, dans le cœur des hommes.
Le chaos est le bouillonnement informel de la vie qui se crée et se transforme en permanence. Vouloir le combattre est peine perdue, puisqu’il fait partie des lois cosmiques et des lois du vivant.
Il s’agit donc d’y plonger avec confiance et courage, et de répondre à cet étrange attracteur d’Amour qui nous permettra d’en sortir transformés, avec un supplément de sens et une réorganisation interne plus riche.

Pour moi, la Biodanza est une voie de grandeur et d’humilité : grandeur d’être un·e humain·e debout entre terre et ciel, assumant son axe identitaire; humilité de l’humus dont nous sommes pétris, osant mettre un genou en terre parfois, pour demander de l’aide, ou les deux genoux, pour pleurer ou prier, et dire « je ne sais pas »…

Merci au Corona, ce tout petit bout de vie couronné. S’il savait ce qu’il génère de larmes et de sang, de démasquages et de redressements !

Puisse l’été 2020 nous permettre de déconfiner notre sagesse <3.

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